Gastronomie : « La construction des recettes régionales a suivi un long processus » - La Croix

La Croix : Au cours de l’histoire, quelle place la prééminence de Paris en matière de gastronomie a-t-elle laissée aux régions ?

Loïc Bienassis : Concentrant les pouvoirs politique, économique, financier, juridique, Paris est le lieu où résident les grandes fortunes qui imitent la cour royale et sa haute cuisine. En témoignent notamment les manuels culinaires des XVIIe et XVIIIe siècles, tous édités dans la capitale. Certes, la province n’est pas absente de la table, à travers des plats dits « à la provençale » ou « à la bourguignonne ». Mais attention, il ne s’agit pas pour autant de cuisine régionale, l’appellation « à la bourguignonne », par exemple, indiquant seulement une préparation à base de vin rouge… Ainsi, le fameux bœuf bourguignon est une création parisienne des années 1860, sans lien avec la Bourgogne ! Pour preuve, les livres de cuisine de la région n’en font pas mention.

Il en va de même pour la bouillabaisse marseillaise, certes préparée avec des poissons de mer mais élaborée… à Paris dès les années 1830. Autre cas amusant, celui de la choucroute qui fit fort probablement son entrée dans les brasseries parisiennes avant de devenir l’emblème que l’on sait pour l’est de la France. La construction d’un corpus de recettes authentiquement régionales suivra un long processus pour ne se mettre véritablement en place qu’au XXe siècle, même si des mets typiques existent bien avant, telle la quiche lorraine.

Comment émerge cette cuisine véritablement régionale ?

L. B. : À la fin du XIXe siècle, on observe un double mouvement. D’une part, le développement du tourisme, appuyé sur celui des chemins de fer puis de l’automobile, favorise les haltes dans les restaurants où l’on s’arrête désormais autant par plaisir et curiosité « folklorique » que par nécessité, comme c’était le cas dans les auberges et relais de poste au cours des longs trajets à cheval. Cet engouement bat son plein entre les deux guerres.

D’autre part, les provinciaux « montent » à Paris au fur et à mesure du développement de la ville, y ouvrent des restaurants et cuisinent les produits de leur région : Normandie, Auvergne, Alsace… Les Parisiens en sont friands, la capitale ayant elle-même pris l’habitude d’importer des produits régionaux, comme les huîtres d’Oléron, pour enrichir son propre « catalogue » gourmand déjà très copieux. L’Île-de-France est en effet une formidable pourvoyeuse de fruits, légumes, volailles, fromages…

Que dire alors de la cuisine venue de l’étranger, parfois de très loin ?

L. B. : C’est en 1900 que l’on trouve les premiers restaurants japonais et chinois à Paris. Leur clientèle est alors très « communautaire », à l’instar des restaurants maghrébins fréquentés essentiellement par des soldats, des étudiants, des ouvriers venus d’Afrique du Nord. La véritable ouverture au monde de la cuisine est beaucoup plus tardive, à partir des années 1960-1970. L’essor du tourisme de masse et les mouvements migratoires sont, comme pour les cuisines régionales, des facteurs déterminants.

Alors que, sous l’Ancien Régime, les distinctions culinaires étaient avant tout d’ordre social, avec une cuisine aristocratique, une cuisine bourgeoise, une cuisine de pauvres, l’époque contemporaine y a ajouté une dimension géographique, de plus en plus étendue, de plus en plus mondialisée.

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