Les bonnes recettes du rire de Jérôme Commandeur - Le Point

C'est un humoriste caméléon, passé par la radio, la télévision, la scène, le cinéma et qui a vite compris que le meilleur moyen de se renouveler, d'échapper à l'ennui, était de multiplier les terrains de jeu. Voici donc Jérôme Commandeur, 46 ans, dans Le Flambeau, la série de Jonathan Cohen, sous les traits grossis de l'animateur de Koh-Lanta, Denis Brogniart ; le voilà, après l'Olympia de Paris, en tournée avec son spectacle à succès, Tout en douceur. Entretemps, il a tourné son second film, Irréductible, avec un beau casting : Christian Clavier, Pascale Arbillot, Gérard Darmon, Valérie Lemercier, Gérard Depardieu, Nicole Calfan… Une comédie sur les aventures d'un fonctionnaire harcelé par sa cheffe qui l'envoie dans les pires endroits du monde pour l'obliger à démissionner.

Remarqué par Dany Boon qui a produit son premier spectacle à l'Olympia et l'a fait tourner dans plusieurs de ses films (Bienvenue chez les Ch'tis en 2008, Rien à déclarer en 2011 et Supercondriaque en 2014), Jérôme Commandeur ne s'est pas trompé en suivant sa voie, dans les comédies de potes avec Les Tuche, d'Olivier Baroux, Barbecue (et bientôt Plancha), Un tour chez ma fille d'Éric Lavaine ou encore dans la peau d'Abraracourcix dans Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu, de Guillaume Canet (sortie le 1er février 2023). En attendant, on est allé lui demander ses recettes du rire.

Le Point : Irréductible est tiré d'une comédie italienne à succès, Quo Vado ? Comment l'avez-vous actualisée ?

Jérôme Commandeur : J'ai conservé l'histoire du héros harcelé par sa cheffe de service qui fait tout pour le faire démissionner en l'envoyant dans les pires endroits du monde. Mais je voulais l'emmener sur les thèmes qui agitent la France en 2022. C'est quoi être Français ? Du coup, j'ai actualisé l'histoire du héros avec des références aux migrants, au réchauffement climatique, aux rapports homme-femme, à la libération féminine, à la mixité, à la famille recomposée et à la peur du déclassement.

Un inventaire sociopolitique que vous transformez en terrain de jeu comique. Pas évident ?

C'est mon personnage, Vincent, qui provoque le rire et pose la question : comment se retrouver dans un monde en pleine ébullition, chamboulé ? C'est bien gentil de commander des chaussures à l'autre bout du monde et de les recevoir chez soi. Mais moi à qui je parle ? Quels sont mes référents ? Dans Irréductible, j'ai voulu qu'il y ait à la fois la forme, d'abord une comédie, et le fond, sur des thèmes qui nous touchent. Il fallait travailler sur cette ligne de crête. J'ai essayé d'être à la fois loufoque et crédible, de chasser l'ennui, d'éviter le caricatural.

Irréductible n'est-il pas aussi une satire de l'esprit fonctionnaire, conformiste et pépère, à travers le héros, gars simple et sympathique, qui résiste au harcèlement de sa supérieure pour le faire démissionner ?

Oui, ça fait partie du jeu chez les humoristes, de Pierre Dac à Coluche. C'est à la fois un clin d'œil et un coup de chapeau. Je charrie les fonctionnaires comme tout le monde, mais on en a profondément besoin. Ce sont eux qui exfiltrent des gens d'Ukraine, qui réparent des pylônes après les tempêtes, qui dégagent la neige sur les routes. Mon personnage de Vincent est un fonctionnaire qui aime passionnément son métier et n'a pas du tout l'intention de démissionner.

En revanche, le délégué syndical ferroviaire joué par Christian Clavier n'est pas épargné… De quoi rire jaune, non ?

Il est très bon dans le rôle du syndicaliste retors qui a l'art de retourner les situations et profiter du système. C'est un contrepied, tout comme une séquence que j'aime beaucoup, la déclaration d'amour à la France de Gérard Depardieu qui évoque les odeurs, le café noir, le crottin sur les routes…

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Nostalgique de cette France-là ?

Je ne dirais pas nostalgique. Vous savez, on caricature souvent les artistes comme des bobos hors sol, mais on connaît bien la France parce qu'on passe notre vie en province, dans le TGV pendant les tournées, sur les aires d'autoroute. On parle avec beaucoup de gens, des veilleurs de nuit, on joue dans les grandes salles comme dans les petites dans des coins perdus.

Par moments, on a l'impression que votre personnage est en mode survie quand il est fait prisonnier par des Indiens qui le somment de faire le bilan de sa vie, de justifier ses actes. Un anti-héros, en somme, non ?

Un ami a très bien résumé le film : l'histoire d'un type qui va faire le tour du monde parce qu'il ne veut pas abandonner son bureau. Et c'est exactement ça. Dans la comédie, il faut pousser le héros dans un bain et faire qu'il en sorte essoré et changé. On a tous des peurs, des appréhensions, des habitudes un peu plan-plan, des a priori qu'il faut bousculer. Mais arrive le moment où on vous secoue et on vous dit non. Il faut alors chercher au fond de soi ce qu'il y a de mieux si on veut s'en sortir.

Peut-on encore rire de tout aujourd'hui sans trop se soucier du tribunal des réseaux sociaux et autres ?

Quand on me pose la question, j'aime bien retourner la fameuse phrase qu'on attribue à Pierre Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui. » Moi je la tourne à l'envers : n'importe qui ne peut pas rire de tout. Alain Chabat et Valérie Lemercier, qui sont pour moi des génies, ont fait passer beaucoup de choses dans leur carrière. Quand vous voyez Chabat dans Burger Quiz, devant des millions de spectateurs, s'amuser avec son questionnaire « Juif ou arabe ? Ou les deux », tout le monde s'esclaffe parce qu'il sait comment faire. Donc, il faut peut-être avoir un peu de bouteille, savoir éviter les écueils, les pièges, ne pas rentrer dans les choses bille en tête.

Et rire de tout ou presque avec Blanche Gardin, Gaspard Proust, Haroun qui balancent pas mal sur scène…

Eux, oui, ils ont entre 35 et 40 ans, sont extrêmement doués et ont beaucoup de succès. Je rajouterais : on peut rire de tout trois petits points… sur scène, en salle. Comme le faisaient, il y a cinq siècles, les conteurs sur les places des villages. Ça se passe comme ça en tournée, mais à la télévision c'est différent, plus compliqué parce que vous passez sous le crible des réseaux sociaux.

La scène, le spectacle vivant sont-ils toujours votre carburant, votre port d'attache ?

La scène, c'est ma source d'inspiration, un plaisir organique, une pulsion face au public qu'il faut séduire. Il y a un vrai contact, direct, immédiat. Le cinéma, c'est un plaisir un peu plus intellectuel parce qu'on fait quelque chose dont on ne verra les résultats que beaucoup plus tard.

Que vous a appris Dany Boon qui vous a mis le pied à l'étrier dans ce métier ?

Beaucoup évidemment, parce que c'est un homme généreux, serein, rassurant et fidèle en amitié. On se téléphone souvent. Je dirais qu'il m'a appris à aller au fond des choses. Je me souviens, il me disait toujours : « Tu sais, quand tu finis d'écrire un sketch, il faut vraiment que tu aies l'impression d'avoir passé ton doigt dans un tiroir vide sans y laisser une trace de poussière. » Dans un sketch ou dans un film, il faut que tu aies vraiment le sentiment d'avoir tout exploré. C'est un conseil qui m'est toujours resté.

La comédie est le genre préféré des Français qui plébiscitent des films comme Qu'est-ce qu'on a encore fait au Bon Dieu, Maison de retraite ou Les Tuche. Pourtant, la fréquentation des salles est en baisse depuis plusieurs mois. Qu'en pensez-vous ?

Après le confinement, on pensait que tout allait repartir comme avant, mais le public est devenu plus exigeant. Le mot d'ordre des producteurs et des distributeurs est : faisons l'événement. C'est-à-dire du grand spectacle, des histoires plus fortes. Oui, mais comment ? Avec le marketing ? Si on veut des films événements, il faut surtout travailler, surprendre, faire plus courir le stylo comme on dit.

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Alors, quelle est la recette d'une bonne comédie ?

Il n'y en a pas, mais il y a deux écueils à éviter : le je m'ennuie ou je n'y crois pas. Il faut qu'il se passe quelque chose, sinon le spectateur bâille. Sans oublier le rythme, un scénario et des dialogues ciselés. Il faut travailler sans relâche et méditer la phrase du cinéaste Henri-Georges Clouzot, reprise par Jean Gabin : « Pour faire un film, premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire. » Le reste, le succès et tout ça nous échappent.

« Irréductible », en salle le 29 juin.

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